Henk Visch s’entretient avec Tim Van Laere

tel que publié dans le catalogue accompagnant l’exposition personnelle  “there were no empty chairs” ( il n’y avait pas de chaises vides ), à la Galerie TIM VAN LAERE du 11 mars au 24 avril 2021

(publication TIM VAN LAERE BOOKS)

TVL : Cette exposition est votre sixième exposition individuelle à la galerie et la première dans notre nouvel espace. Vous avez décidé d’y intervenir et de placer des rideaux transparents aux fenêtres. Il s’agit aussi de la première fois, depuis l’inauguration de cet espace, que la majeure partie des murs des salles d’exposition reste vide. Vous ne montrez qu’une série de dessins dans la salle plus petite. En outre, seules deux sculptures font un lien avec le mur : Dancing Bear et Exit. Qu’est-ce qui a motivé ces choix ?

HV : Le nouvel espace de la galerie m’a inspiré à réfléchir à la relation entre l’espace et mes sculptures. Cela commence au niveau du sol sur lequel je marche, qui fait partie de la surface infinie, et donc illimitée, de la Terre. Je veux clairement montrer cette étendue dans cette exposition. C’est pour cela que les murs sont vides, dépouillés et inaltérés. Devant les hautes fenêtres, qui démarrent au niveau du sol et font entrer l’extérieur à l’intérieur, brutalement, sans seuil à franchir, un rideau transparent est posé. La rue, qui attire dès lors l’attention comme s’il s’agissait d’une vidéo, est laissée à l’extérieur sans interférer. Outre le sol, il y a aussi l’odeur et l’éclat, la texture des murs, la température, l’acoustique et la lumière, qui sont déterminants dans l’aménagement d’une exposition. Tout ce qui se trouve dans la pièce se rapporte au corps d’une manière aventureuse et inconnue parce que le corps, en s’y promenant, est en mouvement. La sculpture libère le corps de la « discipline de l’immobilité », fruit de la perspective centrale de la peinture classique, elle-même intégrée à la culture chrétienne de l’obéissance. Le corps vit quand il est en mouvement. Et l’exposition est comme la scène d’un opéra, dont Pavarotti dit que c’est là que l’histoire devient réalité. 

Dancing Bear montre une figure humaine attaché à un mur avec plusieurs fils colorés. Il regarde vers la pièce, tourné vers le spectateur, détourné du mur. Sur le même mur se trouve Exit, une œuvre de 1991. J’ai pensé à la fresque de Raphaël au Vatican, La Délivrance de saint Pierre, en créant cette œuvre. La fresque montre des barreaux et ce n’est qu’à travers eux que l’image de la prison et du prisonnier apparaît. Il y a comme un désir d’un autre monde, c’est assez fou. Harry Potter doit traverser un mur pour rejoindre son univers magique, Alice doit traverser un miroir et un couloir de lapins pour atteindre le monde dont elle est la reine. Le mur avec les barreaux est l’obstacle derrière lequel des choses fantastiques et anarchistes se passent, où toutes les représentations sont de fausses pistes : ici, nous sommes dans l’espace de la vie, de la vraie vie, de la vie pleine. Le Dancing Bear provoque notre représentation stable du monde.

TVL : Je trouve la puissance poétique introvertie de vos œuvres très caractéristique. Elles touchent le spectateur d’une manière spécifique, très personnelle et difficile à décrire… presque comme une chanson ou une mélodie qui évoque un tas d’associations sans que l’on puisse vraiment savoir ce que cela signifie. Reconnaissez-vous cela dans le processus de création de vos œuvres ? 

HV : La création d’une œuvre relève, pour moi, de l’intime. De l’intime avec mon corps, mes mains et mon temps. Une œuvre qui se crée, c’est quelque chose que je ne connais pas encore et qui se joue sous mes mains et mes yeux, qui s’impose. Par la suite, je garde le souvenir d’un contact agréable. Pendant que je travaille, beaucoup de choses ne sont pas claires, mais ce n’est rien car après, je comprends où j’étais en pensées et je vois l’œuvre. Alors, je peux en penser ce que je veux, car une fois qu’elle est terminée, tout est possible et permis, et il n’existe jamais qu’une seule version de quelque chose : chaque histoire devient une partie de l’œuvre. Alors, je choisis un titre dans les nombreuses notes que j’écris au quotidien.

TVL : Vos titres ont d’ailleurs souvent quelque chose d’énigmatique. Malgré leur caractère souvent très évocateur, ils ne décrivent pas vraiment l’œuvre en tant que telle mais éveillent plutôt des associations supplémentaires. Le titre de cette exposition est lui aussi très mystérieux : There were no empty chairs. D’où vient-il ?

HV : Le titre d’une œuvre vient après sa création parce que le langage est le fruit d’un regard en arrière. Le langage apporte une chronologie, fixe un début et une fin, et détruit la simultanéité des différentes impressions sensorielles pouvant être suscitées par l’œuvre et faisant de cette œuvre une unité. C’est pourquoi le titre ne peut pas coïncider avec l’œuvre, y faire référence ou la désigner. C’est un élément supplémentaire, qui permet de parler de l’œuvre. L’œuvre est autre : elle naît dans un moment synergétique durant lequel toutes sortes d’expériences existent simultanément. 

Il existe un jeu qui s’appelle « les chaises musicales ». On écoute de la musique et lorsqu’elle s’arrête, chacun cherche une chaise. Comme il en manque une, il faut se battre pour la dernière chaise. Bien sûr, celui qui perd est éliminé ! Le Doorman (le portier) le fait sortir et lui interdit de revenir. Pour moi, The Doorman est un titre important, il fait référence au pouvoir et à l’injustice sociale. En face de lui, les gens savent s’ils sont exclus ou inclus. The Doorman est comme un garde de sécurité bien entraîné qui peut refuser à quelqu’un sa participation à la réalité et l’abandonner dans le monde difficile de la solitude et de la survie.

Ce n’est pas un hasard si The Doorman se trouve au cœur de l’exposition à une place centrale. Cette œuvre détermine l’aménagement de l’espace : autour d’elle se structure un cercle d’œuvres. Je voulais d’abord que le personnage tourne lentement, mais j’ai décidé que, de tous les personnages qui tournent, il soit celui qui est immobile. 

Les titres sont importants pour dire adieu à l’œuvre. Le titre de cette exposition vient d’un documentaire sur l’Europe dans lequel un sportif, un coureur de marathon, se souvient du moment où il était devenu champion d’Europe à Athènes. Tout le stade avait poussé des cris, les gens s’étaient mis debout sur leur chaise, il y avait eu un vacarme assourdissant et il en était resté bouche bée. Dans le documentaire, on le voit glisser un regard émerveillé sur le stade vide et dire : « There were no empty chairs », le titre de mon exposition. Le sport et la sculpture nourrissent la même obsession du corps : dans chaque compétition, l’extase physique est transmise au public et il se passe à peu près la même chose, dans une moindre mesure et sous une autre forme, dans mon exposition. Je pense que la signification d’une œuvre d’art ne peut être décrite qu’en termes de plaisir, et le plaisir un produit de l’extase.

TVL : Pendant l’installation de l’exposition, vous parliez beaucoup de la chanson Key West de Bob Dylan, quelqu’un qui nous fascine tous les deux. Cette obsession pour certaines chansons se retrouve-t-elle dans votre travail ?

HV : Tout à fait ! C’est une longue histoire. J’ai entendu pour la première fois la voix de Bob Dylan dans la chanson Blowin’ in the Wind, sur un petit transistor bleu clair que j’avais silencieusement été chercher dans le dressoir du salon, chez mes parents. Je l’avais mis sous mon oreiller pour mieux entendre les basses et j’écoutais Radio Luxembourg. J’avais 13 ans, c’était en 1963, et j’écoutais cette station pirate. La même station pirate dont Bob Dylan parle dans Key West en 2020 ! Il y en avait d’autres, des stations pirates, mais elles n’étaient pas tous gravées en petites lettres noires dans ce grand disque rond qui permettait de se brancher sur les stations. Radio Luxembourg était un mot de passe qui donnait accès à la musique que je voulais entendre ! C’était un cadeau. Le lendemain, j’ai acheté le single. Depuis, Bob Dylan ne m’a jamais quitté, et j’ai toujours retrouvé dans ses chansons des choses qui m’arrivaient. Key West est un morceau de son dernier album, il a 79 ans et voit la fin approcher. On sent qu’il se détache du monde, qu’il s’abandonne. Pour de vrai : I made up my mind, I give myself to you (…) Ce lien détendu, sentimental avec le monde n’est rien d’autre que le début d’un désengagement. Il dresse le portrait d’un monde où des bribes d’impressions se mêlent à des faits historiques et des réflexions. Tout cela se concrétise et s’ancre dans Key West, la dernière d’une série d’îles à la pointe de la Floride, en direction de Cuba et du Golfe du Mexique. Dans la chanson, cela semble être le lieu idéal pour dire adieu au monde, et il le dit avec ces mots : Key West is the place to be if you are looking for immortality, Key West is paradise divine (…). Simultanément, le texte décrit des attractions à voir, des rues baptisées en l’honneur de gens qui y ont vécu, comme s’il s’agissait d’un dépliant touristique. La banalité de la vie et les réflexions sérieuses sur la fin de la vie se dissolvent. J’aimerais bien un jour me promener à Key West. On dirait que la muse de cette chanson est la mort.

TVL : Return est un vrai chef-d’œuvre. On y distingue un personnage humain, mais il semble être pris dans un processus de transformation au fil duquel il adopte toutes sortes de formes dont le spectateur fait l’expérience en tournant autour de la statue. Les expériences du corps humain sont aussi un thème essentiel de votre travail. Dans un interview, vous décrivez le corps humain comme une sorte d’archive de souvenirs et d’expériences, et la sculpture comme un processus très intuitif qui consiste à transmettre votre propre énergie, souvenirs et processus de pensée à la matière d’une statue. La patine de cette sculpture est très particulière. Et comme dans toutes les sculptures de qualité, vos œuvres évoquent aussi la gravité. Vos personnages semblent toujours à la recherche d’une sorte d’équilibre… 

HV : Return est comme un torrent de lave durcie, une rivière sans rives portant les traces physiques du paysage qui l’a formée. Le paysage est le fruit de changements géographiques, de l’évolution. Sur l’immensité de la Terre, l’homme se promène : le corps n’est pas seulement une archive des traumatismes, douleurs et joies connues durant la jeunesse, mais aussi de ceux de continents en mouvement, d’éruptions volcaniques, d’éclairs, de forêts tropicales, d’inondations et de milliers d’années d’obscurité, sans lune. Chaque endroit du corps est un lieu touristique où les histoires sont racontées. 

La patine de Return est le résultat de produits chimiques appliqués à froid. Cela prendrait des années pour obtenir le même effet d’une patine réalisée en une demi-heure grâce au réchauffement par le feu. La « patine froide » permet d’obtenir une coloration de la surface toujours changeante. Return se relève à partir d’une position couchée. Ce qui est couché trouve son équilibre naturellement, mais ce qui est debout doit trouver son équilibre. Sans équilibre, le tigre ne peut pas rôder, le chat sauter : l’équilibre est celui de la titubation, du vieil homme, la condition de chaque mouvement. Le mourant tombe et est déplacé par d’autres. 

TVL : La sculpture est aussi liée au remplissage, à l’aménagement d’un espace. En tant que sculpteur, vous êtes profondément conscient de l’espace qu’occupent vos statues. Dans Enigma of the Western World, vous avez même mis en œuvre des boules en acier inoxydable poli qui intègrent volontairement l’environnement à l’œuvre.

HV : C’est tout à fait ça. Enigma of the Western World est un groupe et dans mon œuvre, il y a des groupes homogènes et hétérogènes. Ici, il s’agit d’un groupe homogène dans lequel les corps sont fonctionnels et ont le même objectif : celui de rester près du groupe et de le renforcer. La boule brillante est comme un nouvel organe qui explore la dimension métaphysique, à laquelle l’art est longtemps resté lié. Le mot « énigme », je l’ai vu pour la première fois à l’âge de 20 ans dans un livre. C’était le titre d’une peinture de Giorgio de Chirico, L’enigma di un pomeriggio d’autunno (L’Énigme d’un après-midi d’automne). Chez de Chirico, l’énigme, c’est l’incompris, mais aussi le mystère, qui peut être sinistre ou libérateur. Les étendues vides sont fascinantes dans son œuvre. Quand j’ai vu ses peintures, j’ai voulu faire une œuvre qui devait répondre à une exigence : celle de pouvoir être placée dans l’une de ses étendues vides. Je n’y étais jamais parvenu, maintenant oui. En mettant fin au vide, en y plaçant une sculpture, la métaphysique devient superflue et l’étendue accessible.

TVL : De nombreuses personnes considèrent la figure humaine comme la caractéristique la plus typique de votre travail. Personnellement, je suis très impressionné par vos installations, qui sont selon moi aussi très typiques de votre œuvre. En dehors de vous et Jimmie Durham, je ne connais personne qui fasse ce genre de travail. J’ai l’impression que ces œuvres évoquent souvent un moment que vous avez vécu ou qu’elles affirment l’une de vos opinions. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur Who Stands Between Me and Chaos et Monument to Commemorate Sympathy ?

HV : À la fin des années 70, j’ai étudié le marxisme avec ma mère : j’assistais à des conférences, et à l’époque, beaucoup de livres étaient publiés avec des photos de la Révolution Russe de 1917. J’étais fasciné par l’agit-prop russe, c’est-à-dire la propagande par l’agitation. Je trouvais intrigant le fait que les beaux arts et artistes avaient été impliqués dans la révolution. Je faisais partie d’un groupe de théâtre de rue de Bois-le-Duc. C’est alors que j’ai rencontré Vasily Wells pour la première fois, un poète, un fainéant de Saint-Pétersbourg. La Tour de Tatlin de 1919, posée sur une charrette tirée par des chevaux dans les rues, était mon œuvre préférée. En 1977, elle m’a inspiré à créer De Brug, ma première œuvre spatiale. L’agit-prop m’a ouvert les yeux à la pensée sociale à une époque où j’étais encore un outsider, un rêveur. Cela a frayé le chemin vers ma première exposition baptisée Getimmerde Tekeningen. Mon identité artistique a toujours été liée à cette conscience politique et a grandi en s’en nourrissant : le monde est un réseau de liens idéologiques qui évolue sans cesse et doit être modifié sans cesse. Les Memorials, toutes les œuvres construites, combinées, en sont le fruit. Mes figures humaines, qui s’isolent dans l’espace comme des objets, je les accepte dans le contexte évoqué par mes Memorials : le souci du bonheur de son prochain. Who Stands Between Me and Chaos, Monument to Commemorate Sympathy, Monologue, Springtime, La Dynamique inconnue de l’imagination et Homo Universalis 2021, mais aussi Nezahualcoyotl en sont des exemples. De loin, Homo Universalis 2021 fait penser au dessin de Leonardo Da Vinci, dans lequel l’homme rentre précisément dans un cercle : l’idéal de la Renaissance de la complétude, de la totalité, et la notion d’universel, de général qui est reconnaissable dans le spécifique et vice versa. Bien sûr, l’image de l’homme a évolué, elle est construite sur base de restes idéologiques qui laissent derrière eux des incertitudes dans une expansion et une différentiation à l’infini. Ainsi, Homo Universalis 2021 contient des parties d’autres œuvres, plusieurs petits objets qui, en conservant leur spécificité, forment ensemble l’homo universalis. Cette fragmentation est le thème. Tim, l’art, c’est la vie pleine, où rien n’est exclu et isolé, ou catégorisé : tout se trouve dans une corrélation qui peut s’effondrer à chaque instant. Ainsi, le point de départ d’une œuvre est pour moi aléatoire, il est à la fois quelque part et partout. Mon cadre de référence inclut tous les phénomènes du comportement humain qui jouent un rôle dans la vie, mais aussi la météo, la nuit et l’aube, le déjeuner, le mal de tête, l’amitié, l’actualité, les envolées philosophiques, les certitudes des personnes instruites, les problèmes de puberté, la biographie d’un poète et la guerre.

TVL : Dans nos discussions, on remarque d’emblée que vous possédez des connaissances incroyables sur les sujets les plus variés. Ces connaissances laissent clairement des traces dans votre œuvre, notamment dans Netzahualcóyotl, dont le titre fait référence au roi, poète et philosophe aztèque du même nom. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre de personnage mystique de l’histoire et comment cela se traduit-il dans une sculpture ? 

HV : Lorsque je créais cette œuvre, je lisais Children of the Day: A Calendar of Human History d’Eduardo Galeano. Dans son œuvre, les détails jouent un rôle essentiel. Le monde des détails est incroyablement fascinant. Galeano a réécrit l’histoire du colonisateur en Amérique du Sud pour démasquer et briser l’emprise de la colonisation sur le continent latino-américain. Ce livre est un recueil d’histoires prenant la forme d’un calendrier annuel, avec chaque jour un événement historique ou une légende. Des anecdotes historiques semblant dénuées d’importance sont réécrites dans une tradition narrative poétique propre, dont les innombrables détails affaiblissent la narration officielle, coloniale. La mort de Netzahualcóyotl, qui est reprise dans son calendrier de l’histoire humaine, a eu lieu le 7 juin 1452, vingt ans avant que Colomb ne mette pied à terre en 1472. Netzahualcóyotl avait alors exactement le même âge que moi et a laissé derrière lui 110 enfants. Il était un roi poète, qui construisit à la fois un barrage dans un lac et un jardin fleuri. Il me manque cette rencontre subtile de points de vue et de sensibilités chez nos rois et leaders actuels. Une exception : le président tchèque Václav Havel (de 1989 à 2003), qui estimait qu’il n’y avait pas de différence catégorique entre la politique et la culture. Pour lui, la conscience culturelle était une source de conscience politique, et il fallait penser poésie pour penser politique. Ainsi, la conscience politique est nécessaire à la création artistique. La visite du président-poète Havel, en automne 1992, de mon exposition à la Galerie MXM à Prague, reste pour moi un souvenir magnifique. Dans Netzahualcóyotl, ce qui frappe, c’est l’horloge en fonte, qui peut sonner à l’aide d’une corde pour réveiller tous ceux qui dorment. L’œuvre a tout ce que l’on retrouve chez un monarque : la mobilité, l’assurance, l’histoire et la couleur. Mais aussi la monumentalité, entremêlée jusque dans les détails à la futilité et le déclin. La vulnérabilité et le manque de contours complètent le roi. Le son est son âge. 

TVL : Dans cette exposition, vous faites aussi souvent référence à la littérature, notamment dans De Mantel, qui rappelle le livre éponyme de Nikolaï Vassilievitch Gogol. Dans ce livre, Gogol raconte l’histoire du fonctionnaire Akaki Akakievitch qui est la risée des collègues de son département. Les choses s’améliorent quand, après de longues économies, il s’achète un nouveau manteau et retrouve ainsi le bonheur. Le vol de ce manteau le lance ensuite dans une errance à travers Saint-Pétersbourg par un climat glacial, dont il revient plus mort que vivant. Que signifie ce manteau pour vous ? 

HV : L’œuvre consiste en une petite figure humaine vêtu d’un manteau, un manteau de longs cheveux bouclés brillants, noirs comme la nuit. C’est un somnambule qui, comme Akaki, voit dans la nuit les ombres de l’anonyme, de l’inconnu. Gogol appelait ces ombres les navires silencieux. C’est magnifique, cela aurait pu être le titre de l’œuvre. Je suis d’accord avec Gogol : le moment de l’art, c’est le moment de la transformation d’une chose vraie en fantôme. La présentation de l’œuvre, l’exposition, c’est le retour du fantôme à la réalité, où il continue à vivre. 

TVL : Vous écrivez souvent à propos de vos œuvres en utilisant parfois le pseudonyme Vasily Wells. Vous échangez aussi souvent avec lui par le biais de lettres. On dirait une sorte de jeu qui mène à une certaine mystification de votre travail et de votre personne. Qu’est-ce qui vous fascine dans ce jeu de fausses pistes ? 

HV : Vasily Wells est mon alter ego (avec les initiales de ma voiture) et dont je n’ai plus eu de nouvelles depuis quelques temps. Je ne sais plus où il habite, il ne me répond plus. Je ne sais pas s’il a quitté Saint-Pétersbourg, s’il mange un sandwich à Lyon, s’il se promène dans son musée préféré d’art naïf à Nice ou s’il est en prison. C’est étrange d’avoir un alter ego, on peut en faire ce qu’on veut : l’appeler, et l’oublier. Il dit ce que je ne dis pas. Il peut rester immobile à regarder par la fenêtre de son petit appartement à Saint-Pétersbourg, lire Speak, Memory de Nabokov pour la cinquième fois, écouter Maria Callas ou m’appeler. Un alter ego est un outil pour me manifester dans le monde comme je le souhaite. Mais entrer ainsi dans la réalité, c’est un détour. Et comme depuis peu, je suis en lien ouvert et direct avec le monde, je ne peux plus me permettre ce détour. Je suis simplement les highway signs. 

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